Gestion, réglementation et administration
Octobre 2018
Avant tout travail d’évaluation de l’équilibre sylvo-cynégétique, il y a lieu de le définir. Autant dire que le législateur, dans sa constante recherche du consensus, ne nous facilite pas la tâche. L’article L 425-4 du code de l’environnement affiche l’ambition de l’obtenir en "rendant compatible une faune riche et variée" avec "la pérennité et la rentabilité économique des activités sylvicoles". Plus loin, il précise que l’équilibre doit "tendre à permettre la régénération des peuplements forestiers dans des conditions économiques satisfaisantes pour le propriétaire, dans le territoire forestier concerné".
En 2014, le législateur a précisé que les schémas départementaux de gestion cynégétique, devaient "prendre en compte et être compatibles" avec les nouveaux Programmes Régionaux de la Forêt et du Bois (PRFB). Alors que le PRFB est opposable aux propriétaires au travers des SRGS (Schéma Régional de Gestion Sylvicole), le Schéma Départemental de Gestion Cynégétique (SDGC) est le seul document opposable aux chasseurs.
De quels outils dispose-t-on pour évaluer l’état de ce fameux équilibre ? Dans quel contexte utiliser ces outils ? Avec quels objectifs sylvicoles ? Ces questions sont d’autant plus d’actualités que le PRFB est en cours d’écriture, et les SDGC en cours de révision.
Cette approche a été mise au point par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS). Le principe de ces ICE repose sur l’observation du système "cervidés / forêt" et de la notion de "densité dépendance". Cela signifie que dans une forêt donnée, lorsque les populations de chevreuils et/ou cerfs augmentent, la pression sur le milieu va elle aussi augmenter. Si la densité de ces cervidés continue de croître, l’état physique des animaux va se dégrader, en commençant par les jeunes. Les chevrettes par exemple seront moins fertiles et la population va se réguler naturellement. Lorsque l’on atteint ce niveau de population, l’équilibre sylvo-cynégétique est généralement déjà rompu et la pression des dégâts sur les jeunes arbres et le milieu forestier en général est trop importante.
Il existe 3 types d’indicateurs permettant d’avoir une vision globale de la relation cervidésforêt :
Le croisement des évolutions des différents types d’indicateurs nous renseigne sur les scénarii en cours dans la relation cervidés-forêt. Les résultats des différents indicateurs ne peuvent pas être comparés d’un massif à un autre et, en règle générale, il est impossible de donner des limites chiffrées à ne pas dépasser. L’ensemble de ces indices sont calculés à partir de moyennes de nombreuses mesures. Dans ce cas, on peut calculer des intervalles de confiance et vérifier si les résultats sont statistiquement différents d’une année à l’autre au seuil de confiance choisi (le plus souvent 95 %). Le plus délicat reste de se mettre d’accord sur un constat de l’état de l’équilibre au départ des mesures, puis, partant de ce constat, sur un objectif commun à poursuivre ensuite ensemble…
En effet, si le taux de dégâts sur une plantation en ligne paraît simple à appréhender, il n’en est pas de même pour une régénération naturelle. Plusieurs types de dégâts peuvent également se côtoyer. À partir de quelle densité restante, l’avenir d’un peuplement est-il compromis ?
Une loi forestière en 2005 a ouvert une petite porte à l’indemnisation des dégâts de gibier aux propriétaires forestiers à condition (entre autres) que les dégâts de gibier observés compromettent l’avenir du peuplement. Ainsi il a été nécessaire de définir si un arbre est viable ou non par rapport au dégât de gibier subi.
Pour être qualifiée de non viable une tige doit avoir :
Photo 1 : Dégât d’abroutissement sur sapin mais épicéa indemne.
Photo 2 : Frottis sur mélèze d’Europe.
Photo 3 : Écorçage sur hêtre dû aux cerfs.
Pour répondre à cette question, on peut se référer au travail réalisé entre forestiers et chasseurs dans le cadre du programme Sylvafaune (massif de Vendresse dans les Ardennes), qui a abouti à un tableau de densité à atteindre dans le cadre d’un équilibre forêtgibier respecté. Pour les plantations, quelle que soit l’essence, 5 ans après la mise en terre 90 % de la densité initiale des tiges doivent être viables si la densité initiale de plantation est inférieure à 900 tiges. Ce taux passe à 85 % si la densité de départ est comprise entre 900 et 1 300 et 80 % au-dessus de 1 300 tiges/ha de plantation. Pour la régénération naturelle, 1 500 tiges/ha d’essences de production forestière ont été retenues quelle que soit la hauteur de la régénération. Au seuil de 3 m de hauteur moyenne, 2 000 tiges/ha sont exigées dont au moins la moitié composée de l’essence objectif. Au stade perchis sensible à l’écorçage, avant la 1ère éclaircie, le nombre de tiges viables doit être supérieur à 1 200 tiges/ha en résineux et supérieur à 3 fois la densité finale pour les feuillus.
Une méthode a été mise au point par l’IRSTEA (anciennement CEMAGREF). Elle consiste dans un 1er temps à délimiter puis quadriller l’ensemble de la parcelle ou sous parcelle susceptible d’être endommagée par le gibier (on parle de surface dégradable). Dans le cas d’une plantation par exemple, 40 points d’observation sont disposés selon un maillage carré dont la longueur des côtés est à adapter à la surface à mesurer. 80 points sont exigés pour diagnostiquer une régénération naturelle moins homogène qu’une plantation. Seules les parcelles tirées au sort sont mesurées. Cette méthode a été utilisée avec succès en 2010 puis en 2015 dans le massif du Donon sur 75 000 ha de forêt dans lesquels en 2015 par exemple 1 550 parcelles dégradables ont été enregistrées et 230 ont été mesurées. Dans ce cas, le taux de parcelles dont l’avenir est compromis ou incertain du fait du gibier, est l’indicateur suivi sur la zone. En 2015 dans le Donon 75 % des parcelles étaient classées en avenir compromis et pour 72 % d’entre elles majoritairement à cause des cervidés…
Il correspond à la consommation de l’extrémité d’un végétal par pincement puis arrachage et consommation. Le cerf et chevreuil abroutissent. La distinction entre les 2 espèces est très difficile à réaliser.
Photo 1 : Dégât d’abroutissement sur sapin (tige "non viable" car le bourgeon terminal est consommé) mais épicéa indemne (tige viable). Les cervidés comme les hommes ont des préférences alimentaires…
Il correspond le plus souvent aux dégâts subis après frottement d’un chevreuil à l’aide de ses bois. Ce dégât est d’origine comportementale et dû aux mâles marquant leur territoire. Les surfaces reboisées de faible surface unitaire sont particulièrement sensibles, les brocards marquant le plus souvent leur territoire à partir des bordures des trouées forestières. Certaines essences (mélèzes et feuillus précieux) sont plus recherchées que d’autres.
Photo 2 : Dégât de frottis sur plantation de mélèze. Plus du 1/3 de la circonférence de l’arbre voit son écorce arrachée. L’arbre ne survivra pas, la tige est "non viable".
Il correspond à l’arrachage à l’aide des dents d’écorce qui est consommée par les cerfs. Il a lieu le plus souvent en période de soudure alimentaire c’est-à-dire entre la fin de l’hiver et le début du printemps. Le chevreuil n’écorce pas. Les essences à écorce fine sont préférées et plus touchées (épicéa, hêtre, frêne, érable).
Photo 3 : Écorçage à hauteur d’homme sur hêtre dû aux cerfs. Si plus du 1/3 de la circonférence est écorcé, la tige est considérée comme "non viable", ce qui est le cas içi.
C’est l’absence de régénération dû à un abroutissement important ne permettant plus à la régénération de s’installer et d’être visible. Seule la mise en place d’un enclos–témoin permet de visualiser ce type de dégât qui sinon passe inaperçu.
Photo 4 : Voir photo de couverture.
Qui aurait présagé devoir un jour mettre la forêt en cage pour réapprendre à observer son évolution à l’abri de la dent des cerfs et chevreuils ? C’est pourtant ce qui se pratique depuis 3 ans dans le Grand Est à l’échelle des forêts domaniales.
L’ONF a mis au point une méthode de suivi de l’équilibre basée sur la comparaison de "placettes enclos" grâce à une clôture imperméable au gibier avec des "placettes exclos" où cerfs et chevreuils se nourrissent librement. Différentes mesures sont réalisées tous les 3 ans sur site. Les différences de moyennes observées entre l’enclos et l’exclos dans l’apparition des essences, le nombre de semis présents par essence et leur croissance en hauteur sont calculés. Le taux d’abroutissement et l’apparition ou la disparition d’essences sont particulièrement suivis dans les placettes exclos. La synthèse globale de ces observations permet de tirer une conclusion quant à l’évolution de la situation de l’équilibre au niveau du lot de chasse.
Sans aller jusqu’à installer un réseau de placettes, la mise en place d’un simple enclos de 5 m sur 5 suffit souvent à illustrer l’impact du gibier localement sur le renouvellement et la biodiversité. Ces images nous font souvent cruellement défaut pour convaincre le chasseur et l’État de prélever plus d‘animaux. C’est pourquoi, Fransylva Alsace a décidé d’aider les propriétaires en leur versant 150 €/enclos installé, ce qui correspond aux frais de fournitures (pour tout renseignement téléphoner au 03.88.19.55.50 aide réservée aux adhérents de Fransylva Alsace).
Dispositif enclos/exclos, pour voir ce qui ne se voit pas.
Depuis la promulgation de la loi d’avenir de 2014 qui a instauré les Programmes Régionaux de la Forêt et du Bois de nouvelles portes s’ouvrent. Ce programme devra préciser les conditions nécessaires au renouvellement des peuplements forestiers, notamment au regard de l’équilibre sylvo-cynégétique (Art.L122-1 du code forestier).
Observer l’aspect mâchonné typique du dégât dû aux cervidés. Une coupe franche est la signature d’un rongeur.
Cela se traduira pratiquement par des objectifs de densité à atteindre et à maintenir dans les forêts où l’on recherche un renouvellement, que ce soit naturel ou par plantation. Dans ce contexte la méthode de l’IRSTEA basée sur l’évaluation des tiges viables est parfaitement adaptée. En cas d’accords locaux entre forestiers et chasseurs, les ICE sont préconisés. C’est une méthode globale et plus écosystémique que la seule observation des dégâts. Elle a pour l’instant la faveur de l’État, mais ne pourra être généralisée partout, vu l’investissement important en temps nécessaire aux nombreuses mesures de terrain à effectuer. Une chose est sûre, les zones en déséquilibres identifiées dans le cadre des travaux du comité paritaire feront l’objet d’un suivi plus poussé (voir page 3 article et carte des zones à problèmes). Les propriétaires et gestionnaires concernés seront informés et sollicités prochainement à ce sujet.
Laurence CARNNOT et Pascal ANCEL
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