Avril 2013
Floréal N°92 - Mars 2013
Les forestiers privés développent depuis plusieurs années leur expertise sur les liens entre forêt et eau potable. Non seulement les forêts sont globalement favorables à la qualité de l’eau, mais les forestiers peuvent délibérément, par leurs pratiques sylvicoles, renforcer la protection de la ressource en eau. Dans cette optique, le CNPF-IDF(1) et la Fédération FPF(2) développent des solutions contractuelles, pour établir des partenariats avec les acteurs de l’eau.
Entretien d’un couvert végétal pérenne et protection des sols, gestion extensive et faible teneur en nitrates des eaux infiltrées, préservation du rôle de filtre épurateur : les forestiers n’ont pas à rougir de leur action sur la ressource en eau potable, bien au contraire. Pourtant le rôle des forestiers n’est pas reconnu, alors qu’ils peuvent contribuer à produire de l’eau potable naturellement, "de l’eau forestière“, à un coût défiant toute concurrence : peut-on s’en priver ?
Face aux pollutions diffuses (nitrates et pesticides) qui constituent une menace centrale pour la qualité de l’eau, comment resituer le rôle de la forêt ?
C’est un fait, les eaux infiltrées sous forêt ont de faibles teneurs en nitrates. L’analyse des eaux sous-racinaires pour différents types d’occupation du sol en Lorraine, montre que l’eau issue de forêt contient moins de 5 mg/l de nitrates, alors que les 50 mg/l -la limite de qualité pour l’eau potable- sont couramment dépassés sous grandes cultures.
Il est souvent invoqué un risque de pic de nitrates suite à une coupe rase. Cette augmentation n’est pas systématique et surtout, elle reste modérée : la norme de potabilité est loin d’être atteinte. Un chiffre, 13 mg/l de nitrates, c’est la teneur maximale mesurée dans l’eau issue de bassins versants forestiers rasés jusqu’à 90 %, suite à la tempête de 1999 en Lorraine ! Globalement, le risque de pollution lié aux coupes rases s’avère être un faux problème sur le critère nitrates.
Par exemple, les traitements herbicides sont tout à fait exceptionnels en forêt : en ordre de grandeur, ils sont 450 fois moins fréquents qu’en grandes cultures. Les itinéraires techniques forestiers réputés les plus intensifs, comme pour le peuplier, ne nécessitent généralement pas d’intrants, et le cas échéant, beaucoup moins que des itinéraires agricoles classiques. Au final, la forêt assure une protection efficace contre les pollutions diffuses.
Maintenir les peuplements en pleine croissance comporte moins de risques que des peuplements vieillissants. La priorité est d’avoir un peuplement en station car “la bonne santé“ du couvert forestier est un gage de protection de la qualité de l’eau. Attention, contrairement aux dépérissements massifs de peuplements, le maintien diffus d’arbres sénescents ou morts, est favorable à la biodiversité et ne menace pas la qualité de l’eau.
Ensuite, le forestier peut chercher à favoriser la résilience, c’est-à-dire la capacité de cicatrisation des peuplements forestiers. Celle-ci permet d’optimiser la protection de la ressource en eau. Ainsi, des peuplements mélangés et irréguliers sont encore plus favorables à la qualité de l’eau. Ils présentent une sensibilité différente aux aléas, et la couverture du sol y est plus continue dans le temps. Par extension, la gestion des populations de gibier peut être ciblée. Une trop forte densité de gibier affecte notamment le renouvellement des peuplements forestiers.
Les secteurs en pente sont les plus sensibles à la mise à nu du sol. Celle-ci peut provoquer des accidents de turbidité (eau trouble liée à la présence de particules en suspension) à l’origine de pollutions bactériologiques dans les captages. Ce point est d’autant plus critique que l’eau peut arriver rapidement au point de captage. Les captages les plus vulnérables sont les prises d’eau de surface, les captages de sources peu profonds et les captages en milieu karstique (massif calcaire avec de nombreuses cavités).
Les principales causes de perturbation du sol en forêt sont les travaux d’exploitation forestière (en particulier lors du débardage), la création de desserte et le travail du sol avant plantation.
Il existe des techniques de prévention pour maîtriser ces risques. Elles sont développées, au cas par cas, dans un guide technique du CRPF Midi-Pyrénées (disponible sur demande auprès du CRPF Midi-Pyrénées ou téléchargeable sur : www.crpf-midi-pyrenees.com/datas/pdf/guide_foret_captages_eau.pdf).
Si les recommandations de gestion forestière pour protéger l’eau ont été validées en Midi-Pyrénées, elles restent néanmoins pertinentes hors de cette région.
La présence d’engins motorisés en forêt induit un risque de pollution accidentelle aux hydrocarbures. Les risques principaux de fuites sont liés à un stockage déficient, à une erreur de manutention, à la détérioration ou au renversement d’un engin. Comme pour la turbidité, des techniques de prévention existent. Là encore, reste en suspens la question de la prise en charge des surcoûts.
La protection des captages se base sur une procédure réglementaire, qui matérialise trois périmètres de protection emboîtés. Le périmètre immédiat, est acquis par la collectivité. Le périmètre rapproché délimite en général un secteur de plusieurs hectares, où certaines activités peuvent être interdites ou réglementées par des servitudes. Le périmètre éloigné reste optionnel et n’implique en général pas de contrainte pour les propriétaires.
Cette procédure est soumise à enquête publique et est entérinée par un arrêté préfectoral de déclaration d’utilité publique.
Les 3 types de périmètres de protection de captages
Nous constatons que le rôle des forestiers privés n’est pas reconnu actuellement lors de la mise en oeuvre de cette procédure.
D’une part, les servitudes engendrent des contraintes pour les forestiers, avec en général aucune indemnisation. Lors de l’enquête publique, face à des servitudes contraignantes, il est recommandé de formuler des observations, avec une demande d’indemnisation.
D’autre part, les collectivités sont incitées à l’acquisition foncière, laquelle revient à exclure les propriétaires forestiers, alors qu’une gestion privée serait tout-à-fait à même de répondre à leurs attentes en termes de protection de la ressource en eau.
En Alsace, afin d’améliorer la prise en compte des enjeux forestiers, le CRPF est systématiquement consulté avant l’enquête publique. Il faut généraliser cette consultation lorsque des servitudes concernent la forêt privée. L’intérêt est d’éviter les prescriptions remettant en cause la viabilité de la sylviculture, alors qu’elle assure l’une des meilleures protections qui soient ! La rédaction des servitudes peut être adaptée.
Par exemple, au lieu d’une interdiction totale de création de dessertes, la proposition consiste à les autoriser dans le cadre de schémas de dessertes où l’Agence Régionale de Santé serait associée.
Les forestiers peuvent être force de propositions, non seulement sur les pratiques susceptibles de faire l’objet de servitudes, mais également sur les mesures à contractualiser.
Face à une réglementation souvent mal connue et dont le suivi reste très aléatoire, la Fédération FPF et le CNPF-IDF développent des solutions contractuelles complémentaires. Les contrats responsabilisent les forestiers et reconnaissent leur rôle pour la protection de l’eau. L’objectif est d’aboutir à au moins 7 contrats signés, d’ici juin 2015.
Les sites sont en phase de recrutement et il est encore temps de signaler des sites potentiels.
Dans ce cadre, la cellule eau de la forêt privée, basée à Nancy, sera renforcée. La brochure “Des forêts pour l’eau potable, la forêt protège votre eau“ valorise l’expertise de la forêt privée sur le sujet, sensibiliser les acteurs de l’eau et les forestiers, afin de nouer des partenariats sur des actions de protection de la ressource en eau, tel est l’objectif de cette brochure à diffuser largement (à télécharger sur www.foretpriveefrancaise.com/eau). Vous pouvez vous appuyer sur cette brochure dans vos échanges avec les acteurs de l’eau.
Les forestiers privés disposent d’outils techniques et contractuels opérationnels pour optimiser la protection de la ressource en eau.
A ce titre, comme le souligne Henri Plauche Gillon, “les forestiers revendiquent un vrai partenariat avec les acteurs de l’eau, avec de justes contreparties“.
(1) Centre National de la Propriété Forestière – Institut pour le Développement Forestier
(2) Fédération des Forestiers Privés de France
Julien Fiquepron, ingénieur forêt et eau
CNPF-IDF, Nancy
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