Novembre 2016
Présenté en mars dernier, le projet de Programme National Forêt Bois (PNFB) prévoit la mobilisation de 12 Mm3, dont 2,7 pour le Grand Est (2ème région la plus sollicitée) à dix ans. La participation des forestiers à la déclinaison régionale du programme en préparation, et à celle du Contrat de filière élaboré en parallèle, a été un sujet central de la Journée de la Forêt Privée, comme le rapprochement avec l'industrie qui doit en découler, et industrielle.
Les organisations représentatives des sylviculteurs privés du Grand Est ont organisé le samedi 17 septembre à Colmar (68) leur rencontre bisannuelle intitulée "Journée de la Forêt Privée", sur le thème "Les sylviculteurs privés : acteurs engagés de la filière bois et de la nature". Le grand témoin de cette manifestation était Corinne Lepage, ancienne ministre de l'Environnement, ancienne parlementaire européenne. Dans le Grand Est, la forêt privée représente 42 % de la surface forestière, partagée entre 329.000 propriétaires. 500 d'entre eux avaient répondu présents pour le programme élaboré par l'Union Forestière de l'Est (UFE), présidée par Henri Plauche Gillon : matinée de visites et après-midi de conférences. Les propriétaires forestiers de Champagne-Ardenne, via l'Union de la Forêt Privée de Champagne-Ardenne (UFPCA), présidée par Patrice Bonhomme, participaient pour la première fois, et l'évolution du profil de la propriété issue de la fusion des régions a été soulignée. Vincent Ott, président du Syndicat des Forestiers Privée d'Alsace, accueillait au parc des expositions de Colmar, outre ses homologues du Grand Est, Antoine d'Amécourt, président de Fransylva et du CNPF, ainsi que des représentants des professionnels de la transformation, Philippe Siat, président de la Fédération Nationale du Bois (FNB) et dirigeant de la scierie Siat, et Jean Maegey, président de Fibois Alsace.
Philippe Siat, Jean Maegey et Antoine d'Amécourt
Deux allocutions filmées, celle du président de Région Philippe Richert, attentif à une filière régionale qui emploie 55.000 personnes, et celle de Véronique Borzeix, sous-directrice des filières Forêt-Bois, Cheval et Bioéconomie au ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, ont ouvert l'aprèsmidi d'information aux propriétaires. La représentante du ministère a rappelé l'objectif formulé dans le projet de PNFB (sorti ce printemps), "l'enjeu est très connu : la mobilisation du bois, avec un objectif sous dix ans de 12 Mm3 de récolte, dont 2,7 Mm3 pour le Grand Est" avant d'exhorter les propriétaires à s'impliquer dans la formulation du PRFB, c'est-à-dire dans la commission (dont l'installation a eu lieu le 30 juin en Grand Est) co-présidée par le préfet de Région et le président du conseil régional, mais aussi dans la déclinaison régionale du Contrat de filière. "J'invite les régions à faire les deux exercices en même temps : la mobilisation est un projet de filière", a-t-elle insisté. Exhortation reprise par la plupart des intervenants par la suite, dont Jacques Garaud, secrétaire général aux affaires européennes, représentant l'État : "le lobbying n'est pas un gros mot", et "je vous invite à vous unir !". Évoquant une "schizophrénie" du public au sujet de l'acceptabilité de la récolte, Véronique Borzeix a parlé d'une "stratégie de communication large et englobante". "Les programmes régionaux seront soumis à l'autorité environnementale et suivis durant les six premiers mois de mise en oeuvre", a-t-elle rappelé. Elle a concédé un financement insuffisant à la forêt -qui s'élève, selon elle, à 65 millions d'€uros (ministère, Feader, Région)- pour parer toute critique, qui n'en est pas moins intervenue.
Corinne Lepage et Vincent Ott
"Problème : il n'y a plus de Fonds Forestier National" (FFN) a ainsi enchaîné Antoine d'Amécourt. "Si, il y a 20 ans, on devait réinvestir 20 % d'une coupe, aujourd'hui c'est 80 % ; le scieur Piveteau me disait récemment : "80 % de ce que je scie viennent du FFN" ; sans FFN, il va y avoir un déséquilibre dans le résineux qu'on aura du mal à rattraper". "On voit le fond du Fonds", a-t-il ironisé, avant d'évoquer une alimentation du Fonds par la taxe carbone : "la tonne vaut 36 €uros aujourd'hui, mettons 1 euro dans la filière bois". "11 millions d'hectares de forêt privée, un ouvrier pour 1.000 hectares, cela fait 11.000 emplois, l'équivalent d'une multinationale !", a-t-il noté avant de lancer un leitmotiv : "Regroupons-nous, voyons comment développer le système des coopératives, le lien avec les experts, regardons comment développer les Cuma comme en agriculture, des plateformes de tri des bois".
Patrice Bonhomme et Jacques Garaud
Patrice Bonhomme a évoqué, quant à lui, "la nécessité impérative d'une reconstruction du tissu industriel au niveau national". "Sinon, pourquoi mobiliser plus ?". Et il a noté "on ne doit pas privilégier le bois-énergie". Propos repris par Vincent Ott : "les grands groupes veulent du bois de chauffage ; ils feront tout pour ça ; or, ces grands groupes ne seront plus là dans dix ans, nous si !". "Je suis très préoccupée vis-à-vis des très grands acteurs du bois-énergie" a rebondi plus tard Corinne Lepage.
Les Directeurs généraux du CNPF, Thomas Formery, et de Forestiers Privés de France, Luc Bouvarel, étaient présents.
Les propriétaires ont participé à des visites de sites le matin...
Citant le projet Syndièse en cours de montage en Meuse*, elle a noté "Vous et moi, les citoyens, via l'Ademe, mettons un milliard dans cette affaire qui va utiliser toute la ressource bois et mettre la pression, voire ruiner tous les petits écosystèmes locaux, ceci pour un usage du bois le plus vil ! Il y a là dans la stratégie générale sur l'utilisation du bois une incohérence". "..."
"On se doit de développer le marché national", a été le leitmotiv de Philippe Siat. Il a commencé par faire un point sur le marché des sciages résineux, en Europe et en France, à l'attention des forestiers. L'Europe produit 38 % des sciages mondiaux (81 Mm3 en 2015, au niveau de 2010) ; elle en consomme 26 %. Or, si la production allemande progresse (+ 5 %), la française stagne. La filière nationale a certes gagné des parts de marché (de 2,5 Mm3, l'import est passé à 1,2 Mm3), mais la consommation baisse en France (5 % tous les ans, les 5 dernières années). "Le point bas de la consommation est sûrement derrière nous", a estimé Philippe Siat, mais sans pour autant minimiser la nécessité de développer le marché national. "Vous payez la CVO", a-t-il dit aux propriétaires.
"Sachez qu'il a été décidé de passer la moitié de celle-ci pour un effort prodigieux de promotion de notre matériau. Sans politique volontariste à ce niveau, nous serons perdants". "La valeur ajoutée sera de filière ou ne sera pas. Isolément, nous sommes beaucoup trop petits". On pouvait avoir le pressentiment que les propriétaires présents seraient plus ou moins muets face à toutes ces "stratégies englobantes" évoquées ! Il n'en fut rien, et les questions ont été nombreuses, ramenant à la nécessité de stratégie immédiate que requiert sur le terrain la gestion forestière. Ont été exprimés, notamment le regret des Plans Pluriannuels Régionaux de Développement Forestier (PPRDF) ayant donné d'excellents résultats de l'avis de propriétaires, la crainte des procédures empilées, et, sujet parmi les sujets, l'équilibre sylvo-cynégétique -une lettre a été adressée au préfet de Région en préambule aux travaux pour le Programme Régional Forêt-Bois.
La maladie de Lyme préoccupe elle aussi beaucoup : la ministre de la Santé devrait faire une annonce sur un mode de prise en compte (maladie professionnelle) sous un mois, a assuré Antoine d'Amécourt. Grand témoin de la journée, Corinne Lepage a tenu à souligner que la forêt est un patrimoine culturel, issu de la main de l'homme. Elle a promu le dialogue. Ainsi, elle a demandé aux propriétaires de prendre en compte le rapport "au vitriol", selon elle, de l'autorité environnementale sur le projet de Programme National Forêt Bois, la critique ne portant pas sur la mobilisation mais sur les moyens, a-t-elle expliqué. "Cela resssort de l'intérêt collectif bien compris de le prendre en compte !". Elle a vanté aux forestiers la mutualisation de moyens. "Le bois fera partie des matériaux qui prendront la place du pétrole" a-t-elle conclu. Une question reste quand même en suspens : sous quelle forme ?
... et ont été très attentifs l'après-midi
Fabienne Tisserand, extrait du "Bois International" du 1/10/2016 avec son aimable autorisation
Photos : Marie-Françoise Grillot - CRPF
* Lire par ailleurs l'article "Biomatériaux et biocombustibles : la filière dans la "bioéconomie" dans Le Bois International n° 28 des 6, 13 et 20 août 2016
La parole de Corinne Lepage fait autorité en matière environnementale. Au moment où se met en place une politique volontariste tournée vers l’augmentation de la récolte, il était intéressant d’entendre son point de vue sur les grands enjeux forestiers. En voici quelques "morceaux choisis" extraits de son intervention publique, ou de son interview préalable.
"J’ai toujours été étonnée et désolée que nous ayions une forêt d’une telle qualité avec un tel déséquilibre commercial ; valoriser cette ressource que nous avons en quantité m’apparaît comme une nécessité, et je note que ce sujet est devenu un vrai sujet politique… Le bois participe incontestablement d’une vision de développement territorial, mais il y a de gros projets de bois-énergie non compatibles avec cette vision territoriale… L’énergie ne doit pas être la seule destination…".
"Il y a beaucoup de méconnaissance dans l’opinion publique de ce qu’est une forêt gérée durablement… les gens pensent qu’il est mal de couper un arbre, alors que cela fait partie du cycle de la vie… Il y a un message simple mais important à faire passer… ".
"Il serait normal que la forêt française puisse récupérer sur un plan financier une partie des avantages qu’elle offre à la collectivité nationale, notamment par le stockage du carbone… Il y a des besoins de financements pour replanter, et il y a là une marge de discussions non négligeable. On arrivera certainement à cette rémunération, mais quand ? Probablement quand le changement climatique posera des problèmes considérables… "
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