Gestion, réglementation et administration
Mars 2016
La cour administrative d’appel de Nancy vient de rendre sa décision dans le conflit qui oppose le syndicat des forestiers privés de Meuse "FRANSYLVA 55" à la préfecture de la Meuse, au ministère de l’environnement et à la fédération départementale des chasseurs de la Meuse. La cour a dit non à l’affirmation contenue dans le schéma qui préconise qu’il "convient de pratiquer un agrainage régulier toute l’année". Pourtant la loi et les circulaires étaient claires : seul un agrainage de prévention des dégâts est acceptable. Quelques fédérations ont fait fi de cette norme. La ténacité de nos amis Meusiens, avec à leur tête François Godinot, a payé. Nous disposons donc aujourd’hui d’une jurisprudence susceptible de faire annuler tout ou partie d’un schéma qui dépasserait la ligne jaune d’une pratique de l’agrainage réservée à la seule dissuasion des dégâts agricoles.
Mais avant tout, comment est défini l’agrainage de dissuasion ? Quand peut-on le préconiser ? Pour quelles cultures ? Les cerfs et chevreuils sont-ils concernés par l’agrainage ? En quoi cela nous concerne-t-il ?
Rappelons que les pratiques liées à la chasse relèvent d’un "schéma départemental de gestion cynégétique" (SDGC) rédigé par la Fédération Départementale des Chasseurs, après approbation et signature par le préfet de département. Nous relevons aujourd’hui de la deuxième génération de schéma, qui court sur six ans. Ce dernier est opposable aux seuls chasseurs et la loi prévoit qu’il "comprend… les prescriptions relatives à l'agrainage". Lors de leur renouvellement en 2012, en pleine période de prolifération des sangliers et des dégâts associés aux cultures, une circulaire a été signée par Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM), alors ministre de l’environnement sous la présidence Sarkozy.
Elle visait à encadrer la rédaction des schémas par les fédérations en formulant des prescriptions, issues d’un groupe de travail national, qui faisaient référence aux périodes de l’année où l’agrainage en forêt est efficace contre les dégâts de sanglier aux cultures.
Cet agrainage, dit de dissuasion, consiste en effet à attirer, ou plutôt maintenir, les sangliers en forêt pendant la période de sensibilité aux dégâts des cultures. Pour cela, on leur fournit le plus souvent du maïs, dans des dispositifs fixes ou au sol, en contrebas des pistes ou chemins forestiers, de manière linéaire. Dans une zone donnée avec des cultures agricoles données, un agrainage toute l’année ne répond donc pas à cet objectif. Les périodes de sensibilité des cultures, croisées avec un agrainage dont l’effet "cantonnement en forêt" est prouvé, ont été définies par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS) dans un tableau annexé à la circulaire dite NKM. On y découvre que les périodes les plus sensibles sont le printemps et l’automne pendant les semis pour les céréales, le maïs n’étant concerné que par le printemps et la vigne, de la venaison à la récolte. Le tableau préconise le plus souvent de démarrer 15 jours avant le semis pour habituer les sangliers à venir aux lieux d’agrainage. L’effet de l’agrainage pour protéger les prairies, notamment en montagne, est qualifié de médiocre et n’est donc pas à considérer comme dissuasif. Voilà la réalité des faits…
Où est le problème alors, me direz-vous ? Le problème vient du fait que l’agrainage pour un chasseur peu scrupuleux sert avant tout à maintenir sur sa chasse une population abondante sur son lot. Une population abondante de sangliers certainement, mais pas seulement, car chevreuils et cerfs sont loin de bouder le maïs…
De plus, agrainer pendant la période de chasse, soit tout l’automne et l’hiver, c’est l’assurance de faire plus facilement de plus beaux tableaux.
L’agrainage "dissuasion" devient agrainage "appât" nourrissage, voire agrainage "élevage", surtout si deux voisins font de la surenchère… et là nous sommes plus proches de l’élevage en forêt à ciel ouvert, que de l’équilibre "forêt gibier". Dans ce cas, il y a surdensité de tout et pas seulement de sanglier. Des propriétaires forestiers proches de tel ou tel lot de chasse se reconnaîtront sûrement.
Ainsi toute autre forme d’agrainage devrait être interdite, y compris "l’appât" appelé encore Kirrung en Alsace Moselle, qui pourtant le prévoit toute l’année… alors qu’en Moselle, dans les Vosges et en Meurthe-et-Moselle, l’agrainage, même s’il est limité en quantité par le nombre de postes fixes, reste autorisé durant toute l’année… Rome ne s’est pas faite en un jour.
Ceci n’est pas étonnant car, concernant l’agrainage, les véritables négociations préalables à la rédaction des schémas se sont souvent faites entre les fédérations et le monde agricole. Aujourd’hui on peut oser dire un peu "sur le dos du monde forestier". Pour preuve, aucun des schémas alsaciens et lorrains n’a été refusé par le monde agricole avant sa signature par le préfet en commission départementale de la chasse et la faune sauvage, parfois après des débats vifs. Il faut savoir que les exploitants agricoles sont indemnisés, non seulement pour les dégâts de sangliers, mais également de cervidés et que l’agrainage est interdit en zone agricole... C’était un peu demander aux forestiers d’accepter chez eux le nourrissage (et non la dissuasion au vu de ce jugement), ceci pour protéger les agriculteurs de dégâts qui leur seront de toute manière remboursés. Que des forestiers aient été entendus concernant l’agrainage est une réelle victoire qui nous donnera du poids en 2018, lors des prochaines négociations précédant le renouvellement des schémas cynégétiques.
Par ailleurs, le schéma meusien n’apporte aucune garantie vis-à-vis de dégâts de cervidés en nette augmentation, tout au contraire puisqu’il affiche un objectif de libre développement du cerf sur tout le territoire en Meuse. Sur ce sujet, nous n’avons pas été entendus. Le juge nous indique que "le syndicat requérant n’apporte pas de précisions suffisantes à l’appui de son moyen, de nature à démontrer que les dégâts causés par les cervidés sont tels qu’ils remettent en cause la réalisation de l’équilibre sylvo-cynégétique exigé par le code de l’environnement". La voie à suivre est claire : pour contraindre l’administration et les chasseurs à mieux maîtriser le nombre de cerfs, nous devons :
Il va falloir retravailler sur nos modèles économiques, et faire tout cela avec méthode et ténacité !
Pascal ANCEL - CRPF
avec la complicité de François GODINOT –
Forestiers Privés de la Meuse
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