Arnaud Etienne a repris la pépinière familiale de Grandrupt (88) en 2000, une époque dont tout le monde se souvient : l'après tempête ! Pendant 2 ans, quasiment aucune plantation ! Les propriétaires se consacrent aux dégagements, à l'écoulement de leurs bois… Et puis s'installe, doucement, une désaffection envers les plantations. Par ricochet, les pépiniéristes s'avèrent donc être également des sinistrés de la tempête…
Que s'est-il passé ? Et comment relancer les plantations ?
Floréal N°90 - Septembre 2012
Arnaud Etienne a repris la pépinière familiale de Grandrupt (88) en 2000, une époque dont tout le monde se souvient : l'après tempête ! Pendant 2 ans, quasiment aucune plantation ! Les propriétaires se consacrent aux dégagements, à l'écoulement de leurs bois… Et puis s'installe, doucement, une désaffection envers les plantations. Par ricochet, les pépiniéristes s'avèrent donc être également des sinistrés de la tempête…
Que s'est-il passé ? Et comment relancer les plantations ?
Les pépinières Etienne, une affaire de famille ?
Dans les Vosges, l'enrésinement des terres agricoles s'est généralisé dans les années 40, il y avait alors ici une centaine de pépinières. Mon grand-père Georges a créé notre pépinière en 1950, puis mes parents Yves et Annette lui ont succédé en 1960. J'ai commencé à travailler avec eux en 81 puis, à leur retraite, j'ai repris la direction.
Enfin, il y a 5 ans, afin de faire face aux difficultés, nous avons créé, avec Rémi Bagard, le Gaec de la Ferme Cachée. Cela a permis de maintenir l'activité tout en la modernisant. Sur nos 5 ha, la production est résineuse à 80 % (épicéa, douglas, sapin noir, mélèze), le sol granit-grès leur convient très bien. Le reste est en sycomore, hêtre, chêne rouge, châtaignier. Pour obtenir d'autres débouchés, nous nous sommes diversifiés dans le bois de chauffage.
70.000 ha/an reboisés en 1960, moins de 30.000 ha aujourd'hui : comment l'expliquer ? La fin du FFN, le coût des travaux, le morcellement, ou bien encore une certaine démotivation des propriétaires ?
Je peux répondre par d'autres chiffres, les nôtres. Fin 70, nous plantions 230.000 plants et actuellement 80.000. Comment l'expliquer ?
Tout d'abord, dans ce qui nous est proche, les "hagis". Autrefois, les propriétaires, souvent petits agriculteurs, ou voisins de leurs parcelles, faisaient tout tout seuls. Ils venaient chercher les plants, qu'ils plantaient, dégageaient, éclaircissaient. Le seul investissement était l'achat ; le reste, c'était leur propre travail. Aujourd'hui, au fil des successions, les héritiers ont quitté le village,… D'autre part, le coût des travaux a augmenté de façon considérable et les bûcherons "traditionnels", on n'en trouve plus ! La tempête de 99 a entraîné une forte démotivation, réduisant à néant le travail de beaucoup, leur coupant l’envie de recommencer ! Une étude comparative sur 2003 et 2009 indique que seuls 25 % des blanc-étocs effectués dans les hagis, ont été reboisés (cf. FLOREAL n° 83 et 85) !
La fin du Fonds Forestier National en 2000, l'arrêt des subventions, tout cela a été ressenti comme un désintérêt et un désengagement de l'Etat et nous a été défavorable.
Et ceci s’est conjugué à d'autres facteurs : les dégâts du gibier qui entraînent la pose de protections coûteuses... ?
Le gibier est un énorme facteur de démotivation, une véritable calamité ! Quand il a planté, le propriétaire veut bien regarnir une fois, puis quand la dent du chevreuil refait des victimes, il abandonne !
J'ai récemment planté une parcelle en douglas, 100 % de reprise au printemps, 30 % de frottés à l'automne.
Le propriétaire a regarni une fois, mais pas 2 ! L'Etat doit s'attaquer de façon sérieuse à ce problème de gibier ! La pose de protections double le prix des plantations, de quoi réfléchir !
(Photo : Marie-Françoise Grillot - CRPF)
…la régénération naturelle, l'évolution vers des futaies irrégulières, la diminution des densités de plantations ?
Les méthodes de sylviculture ont, elles-aussi, contribué au déclin des plantations. On a prôné des densités moins fortes : de 5000/ha, on est passé à 1800-1600. Pourquoi investir dans des plants que l'on éclaircirait 20 ou 50 ans plus tard ? Il me semble que dans ce calcul, on a mis de côté la qualité des bois, beaucoup plus droits lorsqu'ils poussent serrés !
On a décrié les monocultures pour encourager la biodiversité dans les peuplements et la régénération naturelle. Je me pose ces questions : Les bois issus de ces techniques correspondront-ils aux demandes des scieurs dans 50 ans, seront-ils des bois de production? Ce type de sylviculture sera-t-il en adéquation avec les besoins industriels de demain ?
Le principe me semble écologiquement intéressant, mais certainement pas industriellement ! Aujourd'hui, on se rend compte que le massif vosgien est trop petit pour les besoins industriels… Cette tendance ne fera que s'aggraver…
Le nouveau fonds : une chance pour le massif vosgien ?
Ce qui me plaît, c'est que ce fonds (cf.
Création d'une aide au reboisement dans le Massif Vosgien) est une initiative de la filière forêt-bois inter-régionale, suscitée par le
CRPF. Ce fonds d'aide à la reconstitution de la ressource résineuse a pour
vocation de redonner l’envie, aux petits propriétaires, de replanter leurs hagis.
En effet, tout sylviculteur réalisant une plantation supérieure à 50 ares et inférieure à 4 ha peut déposer un dossier et bénéficier (s'il satisfait à certains critères, notamment de gestion durable) d'une aide de 1.000 €/ha s'il fait appel à un reboiseur, 500 €/ha s'il reboise lui-même.
Voilà une lueur d'espoir ! Il reste aux propriétaires à se motiver et à se manifester ! Et nous, pépiniéristes, nous sommes prêts à répondre à cette nouvelle demande ! Comme notre production se calcule à n-3, nous avons prévu d'intensifier notre culture de 40.000 plants cette année et les suivantes !
Interview réalisée par Marie-Françoise Grillot - CRPF